Sommes-nous condamnés à courir ?
pièce échec rouge

Parmi les difficultés auxquelles se confrontent les élèves, il en est une qui rassemble en son sein l’essentiel du problème pour s’assurer une pratique régulière : le temps !

Tous les professeurs de yoga sont unanimes, au mois de septembre, les salles sont pleines. Les nouveaux élèves motivés arborent leurs jolis leggings ou simple short, tandis que les anciens, consternés par le manque de place, attendent patiemment que les choses se calment. Inexorablement en quelques semaines leurs vœux sont exhaussés. Mais que s’est-il passé ?

L’enthousiasme du départ s’est-il effrité au contact des asanas complexes ? La réalité du yoga n’est pas raccord avec l’image que nous présentent les magazines (masculins et féminins) ? le professeur s’exprime dans un charabia incompréhensible ? Pourquoi en quelques semaines seulement, l’effectif des salles fond comme neige au soleil ? Lorsqu’au détour des rencontres dans le quartier limitrophe, le professeur croise les « mauvais élèves » qui ont abandonné le cours, la responsabilité du temps est évoquée dans la quasi majorité. Malgré les besoins ressentis, malgré les conseils du médecin ou de l’ostéopathe, un grand nombre d’aspirants yogis ont rangé leurs beaux habits. Qu’ils se rassurent, le manque de temps frappe également les anciens élèves ! La gestion du planning s’établit dès le plus jeune âge afin de parvenir à jongler entre les cours de danse, de musique, des ateliers créatifs, du sport… (et j’en passe) Les choses ne s’arrangent pas avec l’âge, bien au contraire ! le monde du travail précipite les hommes, chefs de famille et les femmes « actives » (sans doute que les femmes à la maison restent quant à elles, « passives ») dans une course folle. Qu’importe le statut social ou le niveau d’études, le sprint du quotidien concerne tout le monde. On pourrait même être amenés à considérer que les « mauvais élèves aspirants yogis » ont fait appel à leur instinct de survie en renonçant à ajouter un cours de yoga, calé entre la poire et le fromage ! Mais penchons-nous quelques instants sur les élèves anciens, ceux qui ont survécu à la course folle et qui pour rien au monde ne manqueraient leur séance de yoga. Ont-ils perdu toute notion de bon sens ? Quelques esprits chagrins assureront qu’ils se sont simplement adaptés à l’effet du stress et qu’ils sont parvenus à une sorte de plateau permettant d’augmenter la dose, comme de vulgaires addicts. En fait tout dépend du contenu de la séance. Si celle-ci s’agence selon le modèle d’un cours de stretching, d’abdos-fessiers ou autre cours de fitness, elle sera vécue comme une performance ou un défouloir et ne parviendra pas à son but. Mais si elle s’inscrit selon les principes de la tradition ancienne, une véritable transformation va s’opérer.

A n’en pas douter le cours de yoga est une nécessité, et sans cette démarche raisonnable, nous sommes tous susceptibles de développer le paradoxe de la Reine Rouge.

Courir, courir et courir encore sans avancer d’un millimètre ! Courir pour faire du surplace. Pire, il faut courir pour ne pas régresser, pour ne pas se faire dépasser. Pour mémoire, voici le célèbre passage, dans son intégralité, où Alice, celle au Pays des merveilles, se met à courir de plus en plus vite afin de s’ajuster à la vitesse de la Reine Rouge, qui l’entraîne dans sa chevauchée infernale.

extrait
« Alice ne put jamais comprendre, en y réfléchissant plus tard, comment cela s’était fait : tout ce qu’elle se rappelle, c’est qu’elles étaient en train de courir, la main dans la main, et que la Reine courait si vite que la fillette avait beaucoup de mal à la suivre. La Reine n’arrêtait pas de crier : « Plus vite ! », et Alice sentait bien qu’il lui était impossible d’aller plus vite, quoiqu’elle n’eût pas assez de souffle pour le dire. Très curieusement les arbres et tous les autres objets qui les entouraient ne changeaient jamais de place : elles avaient beau aller vite, jamais elles ne passaient devant rien. « Je me demande si les choses se déplacent en même temps que nous ? pensait la pauvre Alice, intriguée. Et la Reine semblait deviner ses pensées, car elle criait : « Plus vite ! Ne parle pas ! ».

Alice n’y songeait pas le moindre du monde. Elle était si essoufflée qu’il lui semblait qu’elle ne serait jamais capable de dire un mot et la Reine criait toujours : « Plus vite ! Plus vite ! » en la tirant de toutes ses forces.
– Est-ce que nous y sommes bientôt ? parvint à articuler Alice, toute haletante.
– Y être bientôt ! Répéta la Reine. Mais, voyons, nous sommes passés devant il y a dix minutes ! Plus vite !
Elles coururent en silence pendant quelques temps encore, et le vent
sifflait si fort aux oreilles d’Alice, qu’elle avait l’impression qu’il lui arrachait presque les cheveux. – Allons, allons, criait la Reine. Pus vite ! Plus vite !
Elles allaient si vite qu’à la fin on aurait pu croire qu’elles glissaient dans l’air, en effleurant à peine le sol de leurs pieds ; puis brusquement, au moment où Alice se sentait complétement épuisée, elles s’arrêtèrent, et la fillette se retrouva assise sur le sol, hors d’haleine et toute étourdie. La Reine l’appuya contre un arbre, puis lui dit avec bonté : – Tu peux te reposer à présent.

Alice regarda autour d’elle d’un air stupéfait. – Mais voyons, je crois que nous n’avons pas bouger de sous cet arbre ! Tout est exactement comme c’était !
– Bien sûr, répliqua la Reine ; comment voudrais-tu que ce fût ?
– Dans mon pays à moi, répondit Alice, encore un peu essoufflée, on arriverait généralement à un autre endroit si on courait très vite pendant longtemps, comme nous venons de le faire.
– Ton pays est bien lent ! dit la Reine. Ici, vois-tu, on est obligé de courir tant qu’on peut pour rester au même endroit. Si on veut aller ailleurs, il faut courir au moins deux fois plus vite que ça ! »
Mais comment faut-il faire pour sortir de cette frénésie ? Rien, absolument rien ! Comment s’y prendre alors ? Une pratique régulière et assidue est nécessaire ; osons le dire, le yoga est une discipline. Loin des clichés à la mode, les qualités demandées sont celles du courage et de la ténacité. Il invite à rejoindre l’intime et conduit vers une transformation profonde. Se rapprocher du sens de l’existence, Purushartha, établie sur quatre piliers :
  • Dharma, la loi de l’univers qui est juste et incontournable, garante de l’harmonie
  • Artha, le bonheur proche de la santé, physique, mentale et psychologique
  • Kama, le temps de l’expérience et du plaisir
  • Moksha, la voie spirituelle qui conduit à la libération
Sachant que le yoga ne se range pas dans la catégorie Développement Personnel, il procède au dépouillement. Dépouillement de tout ce qui n’est pas nécessaire, vers la réalité intérieure : le Soi ; Sans jamais se couper des autres, et jamais au détriment des autres mais toujours en relation avec l’univers.

Petite technique pour gens pressés

  1. Trouver une fenêtre de 3 minutes simplement ; mais tous les jours
  2. Ritualiser ce moment. Par exemple au moment de boire son thé ou café, le matin ou à l’heure du déjeuner, une petite pause à 17 h ou même le soir quand tout est calme dans la maison ; qu’importe mais à une heure régulière.
  3. Trouver un endroit précis, toujours le même et s’asseoir
  4. Fermer les yeux et respirer consciemment (voir les respirations essentielles)
A l’instar de ce proverbe, né sous la plume d’un célèbre inconnu, qui, au détour du hasard nous livre l’essentiel de la sagesse indienne : « l’égo se lamente : une fois que tout rentera dans l’ordre, je trouverai la paix. Mais l’âme murmure : trouve la paix et tout rentrera dans l’ordre ».
Saint François de Sales quant à lui (1567-1622), évêque savoyard, patron des journalistes et des écrivains, nous livre un grand secret : « Une demi-heure de méditation est essentielle sauf quand on est très occupé. Alors une heure est nécessaire ».
Saint-François de Sales
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