Faut-il connaître le Sanskrit pour pratiquer le Yoga ?

Clé de musique

Lav Kumar Sharma
Garland Of Ragas

La séance de yoga abonde de termes étranges qui nécessitent de la part du néophyte des efforts de compréhension. Il est en droit de se demander si, pendant la pratique, les mots bizarres que son professeur prononce sont véritablement utiles et si une petite traduction ne suffirait pas. Ces mots mystérieux sont en sanskrit. 
La langue sanskrite est une langue ancienne encore utilisée de nos jours par les érudits. Elle fait partie des langues indo-européennes de la famille indo-aryenne. Par elle s’énoncent la pensée indienne et la sagesse des textes sacrés. Elle révèle la cause qui engendre les conséquences aux multiples visages. Elle situe le mot à l’intérieur d’un champ lexical aussi vaste que complexe, qui, bien souvent déroute.
Réduire le mot à une traduction littérale peut aboutir à commettre des erreurs ; il vaut mieux l’employer tel quel et lui laisser le charme de l’étrange qui interroge. Le yoga affectionne les entrelacs et les variations. Chaque mot utilisé s’inscrit dans une spirale qui entraîne le yogi et la yogini à se poser des questions afin de remettre en cause ses certitudes diverses.

Alors faut-il connaître le sanskrit ?
En fait, pour comprendre le sens du mot, il faut l’incorporer par la pratique.

Que nous soyons sur un tapis de yoga ou assis à un bureau, nous devons intégrer physiquement les mots sanskrits. Pour ce faire, il convient de s’installer dans le temps de l’expérience.

  •  D’une part, dans le cadre du Hatha Yoga, au moment de la pratique physique, l’élève débutant, dans un premier temps, se contentera d’écouter son corps en s’ajustant le mieux possible en fonction des recommandations. Si l’enseignant surcharge le cours par des termes sophistiqués, sa noble intention peut s’avérer plus nuisible qu’utile. Progressivement l’élève va naturellement s’interroger sur l’intérêt de telle ou telle asana. Il va réaliser qu’il préfère telle posture plutôt qu’une autre, tout en se demandant pourquoi. Si son professeur introduit la posture par son appellation d’origine, il va se heurter à sa propre réaction face à l’inconnu, toujours insolite. Cependant, il pourra, avec ou sans explication de textes, progresser dans cet apprentissage d’ordre physique. Mais il est souhaitable d’entendre quelques mots en sanskrit, pendant le cours, afin que la musique de la langue sublime le contact avec l’univers du Yoga. En effet, au fur et à mesure d’une pratique régulière, le corps devient plus souple et plus fort, mais aussi plus sensible, c’est-à-dire plus réceptif. La vibration du mot prononcé en sanskrit envoie une énergie particulière qui permet d’entrer en contact avec l’essence de l’asana et sa portée symbolique. Les corps subtils, en éveil, entreront alors en résonance.
  • D’autre part, il est un autre cadre dans lequel les sens des mots, dans toutes leurs subtilités, s’avèrent incontournables : celui qui touche directement à la langue et son contenu. En effet, la théorie, qu’elle soit philosophique ou métaphysique nécessite une « prise directe ». On ne peut absolument pas imaginer lire un livre où chaque mot d’origine indienne serait utilisé dans une traduction stricto sensu. C’est tout à fait impossible, le résultat n’aboutirait qu’à des contre sens inévitables. Pour toucher le signifié profond des termes employés dans le yoga, une fois de plus il faut que le corps en entier écoute et reçoive dans sa chair. Pour cela, il convient de s’imprégner des vibrations sonores. La démarche spirituelle, plus que tout autre domaine, demande une intégration du mot de façon intime, dans la mesure où la langue quitte son statut de moyen de dialogue pour devenir le véhicule d’un message.

Cette approche sera complétée par l’étude étymologique des termes et des mots. Seules les racines délivrent les secrets du sens profond. Il en va de même pour toutes les langues anciennes porteuses de la sagesse traditionnelle, que cela soit le grec et le latin ou l’hébreu, le slavon ou encore le mandarin… Ces langues posent à l’encre noire (le Feu Noir), pour les générations suivantes, les mots chargés de sens. Il faut les prononcer à voix haute, il faut les mâcher pour s’en nourrir dans toutes les dimensions de notre être – du grossier au plus subtil, soit du physique jusqu’à l’âme : Annamaya Kosha jusqu’à Anandamaya Kosha.

Encore un point, si le Feu Noir grave les lettres par sa force, le Feu Blanc révèle quant à lui, par sa puissance illimitée, les silences, les espaces blancs, source de la méditation. Ainsi le texte exprime à la fois le manifesté et le non manifesté.

La réponse est donc très claire : expurger l’enseignement du yoga des mots sanskrits qu’il véhicule, consiste à le réduire en simple méthode de bien-être, alors que les termes qui l’enrichissent indiquent la voie à suivre.

Prenons deux exemples concrets
Deux mots sanskrits revisités

Le célèbre « karma » – à l’usage galvaudé – vient de la racine qui exprime l’acte ou l’action dans le sens de « faire » qui englobe aussi bien le corps que le mental. Mais son sens est plus étendu et inclue nos liens avec les lois qui régissent l’univers. Ces lois incluent le pouvoir d’intention, la loi d’attraction, celles de l’équilibre etc…. D’une manière générale il est enseigné que « le sujet devient ce qu’il pense ». Nous pouvons comprendre alors que nos actes aussi bien que nos pensées devraient toujours se concentrer sur l’ici et maintenant, afin de ne pas se charger de nos angoisses anticipées qui tôt au tard fatalement se manifesteront : « Nous sommes notre propre destin », autrement dit « Notre destin nous ressemble ». Ainsi la nature des effets dépend de la nature des causes.

 « Dieu se rit des hommes qui se plaignent des conséquences
alors qu’ils en chérissent les causes. »

 Jacques Bénigne Bossuet

La pratique du yoga invite à habiter pleinement le temps présent, à nettoyer le corps ainsi que l’esprit de tous les sentiments négatifs appartenant au passé et sans se projeter dans un avenir incertain. Cette pratique nous conduit vers l’acte désintéressé pour la guérison du monde, en commençant par nous-mêmes. C’est une action spirituelle. Le Karma s’exprime en 3 lieux : le Passé – le Présent – le Futur. Il dépend de notre engagement et procède de notre propre volonté autant que de notre état de conscience. Mais il est intimement lié à deux autres notions : celle de notre ignorance Avidya et notre aveuglement à nous focaliser sur les apparences qui sont, elles, victimes de l’illusion Maya. Ces concepts, omniprésents dans l’hindouisme, considèrent le monde phénoménal recouvert d’un voile d’ignorance qui trouble notre perception du réel et nous empêche de contempler l’Absolu. Autrement dit nous prenons nos désirs pour la réalité ou mieux, nous prenons des vessies pour des lanternes.

On parle également du Karma Yoga que l’on traduit par « le yoga de l’action juste ». Il est au centre de l’enseignement dispensé dans la Bhagavad Gita, l’un des textes sacrés de l’hindouisme.

Et le non moins célèbre « Ãsana » qui nous semble plus facile d’accès. Nous allons immédiatement le traduire par « posture ». Qu’en est-il vraiment ?
Le mot āsana dérive de la racine ās qui exprime le fait « d’exister, d’être » et même « habiter, avoir lieu » « être en train de », cette racine ās ajoute également à ce sens la notion d’assise. Ainsi le mot peut se traduire par « être assis » ou « une manière d’être assis » qui n’est pas sans rappeler la signification du mot « assoir » venant du latin « assidere ». Ce verbe peut être employé pour décrire une posture physique mais également sociale : « être assis » exprimant l’idée « être bien installé dans sa vie ». Dans le contexte du yoga, il y a par surcroît, une intention d’exister dans la posture par l’élargissement de la conscience quand le mental cesse ses fluctuations pour entrer en contact avec le souffle primordial ; cette précision est apportée par le radical ana. L’asana exprime par conséquent, une manière d’être qui mène à l’aboutissement de la démarche, quelle que soit la position proposée : inversée, debout, couchée ou en assise, avec une torsion du tronc, une flexion de hanche ou même un équilibre sur les mains… Ce qui compte est l’arrêt des fluctuations du mental :

Sutra 2
Chapitre I (Samadhi Pada)

Le mot asana figure dans les Yoga Sutras du sage Patanjali et correspond au troisième membre, ou étape de l’Ashtanga. (Voir l’article « Qu’est-ce que le Yoga ? »). Ces étapes tracent un chemin que le yogi et la yogini suivent afin de progresser dans la voie. Elles sont au nombre de huit :

« Yama Niyama Ãsana Pranayama Pratyahara Dharana Dyana Samadhi »

Sutra 29
Chapitre II (Sadana Pada)
« Les huit parties de la discipline du Yoga »

Dans le cadre du Hatha Yoga, on intègrera très vite la notion complémentaire associée à la pratique des asanas avec l’ajout des mots « sthira sukham ». En effet, la posture proposée en expérience sur le tapis doit se pratiquer de cette manière : « sthira sukham āsanam ». Ainsi il faut comprendre, par l’utilisation de ces mots, que l’asana doit s’établir « stable, ferme, soit immobile dans la durée », tout en conservant les qualités du « confort, de ce qui est agréable et même qui apporte du plaisir, de la douceur ». En fait, la posture bien que fermement installée doit se révéler facile et plaisante dans la durée.

Autrement dit, selon la Tradition énoncée par le sage Patanjali, la notion d’effort ne doit jamais s’entendre comme un acharnement – Ce dernier procède plus de la volonté égotique que de la sagesse. Les tremblements, les douleurs ne participent pas à la compréhension juste de la pratique. L’énergie activée en douceur et le lâcher-prise mental permettent de maintenir l’asana, sans volonté de compétition envers les autres ou soi-même.
Gardons-nous cependant d’en conclure que la pratique du Hatha Yoga ne demande aucun effort, mais il doit être intégré dans le sens de Virya c’est-à-dire la persévérance, régularité, constance et l’enthousiasme.

« Ãsana est profondément un lieu de transformation,
un lieu pour découvrir et accepter notre humanité et céder l’espace à la Vie qui nous dépasse. »

Peter Hersnack

« Lorsque les mots perdent leur sens, les gens perdent leur liberté »

Confucius

Chaque āsana porte en son nom un message à décrypter

Parlant de la musique de Bach, Richard Wagner disait « C’est comme la racine des mots. Les rapports de ces pages avec toute autre musique sont ceux du sanskrit avec les autres langues. »

Propos recueillis en juin 1880 par Cosima Wagner, lors des soirées passées à Bayreuth

Et pour aller plus loin…

Extrait 1984 - Novlangue

Un penseur iconique

Les principes de la Novlangue
selon George Orwell
dans son roman

George Orwell
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Close-up of a sacred text in the hands of Brahman monk
De Anatoli Styf

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Jammu / India 23 July 2018 Old Sarada or Sharada script is developed before the 3rd century it was used for writing Sanskrit and Kashmiri at Jammu and Kashmir India
De arun sambhu mishra

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Lord Krishna and Arjuna on the chariot. Religious Indian sculpture. India, Rishikesh, December 2, 2018.

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Silhouettes ISKCON pour l'organisation religieuse hindoue.
De photrix
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